La dimension théologique d’une formation de catéchistes et accompagnateurs du catéchuménat

Prise de notes Mission Impossible formation

Intervention de Catherine Chevalier, dans le cadre de la session de novembre 2016 : Former les catéchistes : Mission impossible ?

Au cours de la préparation de cet exposé, j’ai été éclairée par une image qui m’a aidée à donner de la chair à ce que je vais vous dire. Et puisqu’il s’agit de vous parler d’une formation selon un itinéraire catéchuménal, c’est important que ce que je vous dis soit incarné, vivant.

C’est une image que le pape François a utilisée lors du voyage qu’il a fait début octobre en Azerbaïdjan, un pays où il y a seulement 500 catholiques (une seule paroisse) qu’il est allé rencontrer. Le pape a utilisé l’image du tapis parce que peuple est tisseur de tapis. Je le transpose ici dans un tissu… mais imaginez-vous que c’est un tapis. Je le cite : « Chaque tapis, vous le savez bien, est tissé selon la trame et la chaîne… C’est ainsi pour la vie chrétienne : elle est chaque jour patiemment tissée, entrecroisant une trame et une chaîne bien définies : la trame de la foi et la chaîne du service ». Pour le pape, la trame de la foi est comme « un fil d’or qui nous relie au Seigneur… le don… qui porte du fruit si nous faisons notre part »… Et notre part, c’est « la chaîne du service » : plus que la fidélité à nos devoirs, le service, c’est notre engagement à servir par toute notre vie, à vivre en servant, à la suite du Christ.

Pourquoi cette image m’a-t-elle inspirée ? Parce que je crois que nos propositions « selon un itinéraire catéchuménal » doivent aussi tisser ces deux fils, le fil d’or de la foi qui est don de Dieu et qui nous est transmise par la révélation, à travers les Écritures, la tradition, la vie en Église et le fil de soie qui est notre engagement à chacun, notre désir de servir dans ce grand tissu de la vie en Église. Je vais reprendre cette image autour des trois étapes qui suivent. Ce que je vais vous dire s’appuie en grande partie sur les enseignements tirés de l’enquête que nous avons menée auprès des catéchistes en région parisienne et à Bruxelles et dans ses environs1 et sur le travail réalisé dans de l’atelier « Former des catéchistes : comment ? en vue de quoi ? » au colloque de l’ISPC sur le thème « Les catéchètes dans la mission de l’église » (février 2015).

Témoigner d’une expérience

Cette enquête nous a placés devant un triple constat. Tout d’abord, ce qui compte pour les enquêtés, c’est le désir de témoigner de leur expérience de la présence de Dieu dans leur vie, de son amour qui les invite à aimer les autres. C’est un bon point pour une perspective catéchuménale qui met l’accent sur la relecture de l’expérience. En contrepartie, ils n’attachent que peu d’importance aux contenus de la foi.

Pourtant, deuxième constat, c’est en faisant la catéchèse que les catéchistes sont eux-mêmes catéchisés. Cela nous a beaucoup impressionnés, Joël Morlet et moi-même. S’impliquer en catéchèse leur permet de se questionner, de découvrir la foi ou de la redécouvrir, de l’approfondir, d’avancer dans un cheminement où on reçoit autant ou plus que ce qu’on donne. Ainsi, les personnes qui s’engagent en catéchèse sont bien souvent, au départ, animées par une foi balbutiante, et c’est leur engagement qui les pousse à se questionner, à nourrir leur foi ; ils sont ainsi conduits sur un chemin de (re)-découverte de la foi.

Et qu’est-ce qui fait que cela marche ? Que ces personnes osent se lancer, qu’elles mènent à bien leur mission et que leur engagement les fait grandir dans la foi ? C’est le troisième constat. Elles sont nombreuses à témoigner que c’est grâce au soutien de telle personne responsable, à l’appui du curé, grâce aux lieux d’échange qu’on leur offre qu’elles ont osé s’engager, qu’elles ont pu assurer leur mission et progresser comme catéchistes et comme croyants.

Revenons à nos deux fils : bien sûr, il y a leur foi balbutiante et leur engagement personnel, le fil d’or et le fil de soie qui sont indispensables pour que cela fonctionne. Mais ce n’est pas suffisant : elles osent s’engager parce qu’elles savent qu’elles ne sont pas seules dans cet engagement. Au-delà de leur foi balbutiante et de leur engagement, il y a les fils d’or de la foi de l’Eglise qui se traduit par le soutien que ces personnes reçoivent du réseau catéchétique qui donne sa solidité au tapis et qui permet que chaque personne apporte son engagement, son fil de soie, pour faire un beau tapis, un tapis qui tient la route.

Qu’est-ce à dire pour la mission de formation ? Parce l’enquête pourrait presque laisser croire que « ça pousse tout seul » ? En quoi cela engage-t-il notre responsabilité de « formateurs » ? Je dégage de ce qui précède deux éléments.

Premièrement, il importe de veiller sur ce maillage ecclésial, sur l’accompagnement des personnes au plus près de leur engagement personnel, tout en mettant à leur disposition les ressources nécessaires à la mission catéchétique. Pour cela, il faut veiller à la formation de personnes ressources sur lesquelles les catéchistes débutants pourront s’appuyer, localement. Nous y reviendrons tout au long de ce qui suit.

Par ailleurs, c’est le deuxième élément, notre responsabilité, c’est de veiller sur le fil de la foi, c’est-à-dire que les « jeunes pousses » dans la foi que sont les catéchistes et les accompagnateurs de catéchumènes soient irriguées par le fleuve de la foi de l’Eglise, qu’elles découvrent la beauté, la richesse de ce fil d’or qui les relie à Dieu et à ses dons.

Le style : apprendre à croire ensemble

Comment veiller sur ce fil de la foi ? Dans le prolongement des constats qui viennent d’être évoqués, je voudrais d’abord m’arrêter au style des rencontres que nous allons proposer. La conviction sur laquelle reposent les propositions qui suivent est que, pour préparer les catéchistes, les accompagnateurs de catéchumènes à accompagner la foi, il faut nourrir leur foi. Cela veut dire qu’il nous faut être soucieux, dans nos propositions, de rejoindre l’expérience croyante des destinataires et de proposer des espaces où les découvertes, les connaissances, peuvent être intégrées dans leur itinéraire de croyant.

Pour ce faire, il importe de nous constituer en « communauté d’apprentissage ». Apprendre ensemble, dans le partage mutuel de nos découvertes et de nos questions. Pas pour le plaisir du concept de « communauté d’apprentissage » mais parce que c’est cela l’église : elle est ce lieu où l’Esprit nous fait reconnaître l’action de Dieu en nous, entre nous, autour de nous.

C’est important pour grandir dans la foi, mais aussi pour ajuster la posture du catéchiste. Pourquoi ? Je reviens ici sur la posture du témoin, intéressante parce que chacun s’y engage en « je », avec toute la force de l’engagement qui l’anime. Le risque est cependant de mettre la personne dans une posture d’exemplarité qui peut devenir lourde à porter, de mettre tout le poids sur l’engagement personnel – le fil de soie – au détriment de la foi – le fil d’or – qui est don de Dieu. L’expression d’ « aîné dans la foi » utilisée dans le Texte national2, est intéressante sur ce plan : elle positionne le catéchiste dans un rôle d’accompagnateur plutôt que de témoin. Il accompagne sur le chemin de la foi, un chemin sur lequel il précède le catéchisé, mais sur lequel il est lui-même en chemin.

A travers cet accompagnement mutuel en Eglise où les uns précèdent les autres tout en cheminant avec eux, nous mettons en œuvre la pédagogie divine qui accompagne chacun à partir de là où il est tout en accueillant les dons que l’Esprit fait à son Eglise, à toutes les étapes du chemin de foi. Car tous sont animés par l’Esprit. Entre ceux qui sont débutants, hésitants et ceux qui savent, qui ont plein d’expérience, nous apprenons à sortir du « eux » (« ils ne savent rien », « ils n’ont pas le temps »…) et « nous », pour construire ensemble le nous ecclésial.

Pour moi, c’est une façon de préparer les acteurs de la catéchèse à accueillir les catéchisés et leurs familles, les catéchumènes dans une dynamique qui reconnait l’Esprit agissant en toute personne, et en particulier chez ceux qui frappent aux portes de l’Eglise, pour reprendre l’expression de François Moog à Ecclesia 20073. Tout comme il importe que tout qui frappe à la porte de l’Eglise se sente accueilli et non renforcé dans le sentiment d’indignité qui peut l’habiter quand il frappe à la porte, de même il importe que chaque personne qui s’engage dans un service catéchétique soit accueillie dans son désir de donner de elle-même, de témoigner de sa foi. Parfois il faudra avec certains chercher leur juste place, en fonction des dons qu’ils ont reçus. Si nous pouvons même dans ces situations délicates cultiver une attitude bienveillante, nous grandirons tous ensemble dans la foi.

Le cœur : s’approprier la foi professée, célébrée, priée et vécue

Sur cette base, je poursuis avec le fil d’or de la foi sur lequel nous avons la mission de veiller, en proposant quelques pistes pour permettre aux acteurs de la catéchèse d’approfondir leur foi débutante en étant nourris par la confrontation à une foi professée, célébrée, priée, vécue.

Une foi professée

Une première façon de nourrir la foi débutante des catéchistes est de leur offrir, dans les moments de rencontre que nous avons avec eux, des temps de relecture croyante de ce qu’ils vivent dans l’exercice de leur mission et dans ce que cela leur fait découvrir de la foi chrétienne. Cette mission comme leurs vies sont traversées de joies et d’épreuves, comment les relire avec les yeux de la foi ? De tels temps de relecture seront l’occasion de reconnaître la présence du Seigneur dans leur vie, de voir que leur vie est traversée par le mystère pascal.

Veiller sur le fil d’or de la foi, ici, c’est choisir de nourrir ces temps de relecture en s’appuyant sur un texte de l’Ecriture ou de la tradition spirituelle brièvement présenté et qui soutient la relecture. La tradition de l’Eglise, la Parole de Dieu sont un miroir pour relire nos itinéraires croyants. En distillant goutte à goutte les richesses de l’Ecriture et de la tradition, nous permettons à leur identité croyante de se construire et nous renforçons leur sentiment de légitimité dans leur mission. Pourquoi ne pas, selon nos possibilités, coupler ces relectures avec la découverte au fil des différentes rencontres des grands moments de l’année liturgique, ou avec celle du Credo, ou d’un évangile, autant de médiations de l’organicité de la foi. Cela peut se faire dans nos rencontres ou encore à travers des supports transmis au fil de l’année et qui offrent un éclairage sur un temps liturgique, sur un article du Credo ou un passage d’vangile avec une question pour la relecture, à utiliser personnellement ou en groupe.

A côté de ces propositions pour tous, nous pouvons aussi veiller à renvoyer ceux qui ont pris goût, ceux qui veulent aller plus loin, à des propositions pour mieux connaître le trésor de la foi : groupe de partage autour d’un évangile, lieu pour apprendre à raconter la Bible ou à l’exploiter en catéchèse, cycle d’initiation à la foi de l’Eglise. Ce sera une manière de former ces personnes ressources qui sont essentielles pour la solidité du réseau catéchétique.

Une foi célébrée

Avec la foi célébrée, je touche à une question plus difficile, et même paradoxale : nos pratiques catéchétiques restent très orientées vers l’accès aux sacrements4… et ce qui reste le plus difficile, pour les acteurs de la catéchèse, c’est d’initier à la liturgie, en particulier rendre compte de l’importance de l’eucharistie : ces médiations symboliques apparaissent comme étranges, leur langage fait obstacle … Alors que l’eucharistie est au cœur du dispositif catéchétique, pas moyen d’y échapper !

Soyons créatifs pour intégrer dans nos moments de rencontre avec les catéchistes des espaces d’initiation à la liturgie. Faire découvrir que l’eucharistie est une « mise en scène », au sens noble du terme, du dialogue que Dieu veut établir avec son peuple : l’écoute de la Parole de Dieu, le mémorial du don que le Christ fait de sa vie nous introduisent à la communion avec lui et entre nous comme le symbolisent le Notre Père, le don de la paix et la communion au corps du Christ. Il suffit parfois de quelques mots pour ouvrir le sens. On peut aussi prendre le temps de s’arrêter à un geste, un rite de la liturgie comme le signe de croix, les mains qu’on plonge dans l’eau bénite en mémoire du baptême, une procession… Vivre un geste et en relire l’impact, ensemble.

Une autre porte d’entrée pour cette initiation liturgique, c’est de faire place à la catéchèse dans la liturgie : que catéchisés et catéchistes soient accueillies dans la liturgie paroissiale pour un temps d’envoi en début d’année et que cet envoi soit célébré des bien gestes visibles : participation à la procession d’entrée, aux lectures, à la prière universelle, belle procession des offrandes qui met en valeur la mission catéchétique, bénédiction d’envoi largement déployée en invitant les catéchistes devant l’autel. Et pourquoi pas, en fin d’année, une liturgie pour rendre grâce pour ce que Dieu fait non seulement dans la vie des catéchisés mais aussi dans celle des catéchistes, célébrer leurs avancées dans la foi, et si cela se met, leur donner l’occasion d’en témoigner. Sans oublier les Dimanche autrement et autres propositions de catéchèse intergénérationnelle.

Sans transformer la liturgie en catéchèse, le soin accordé à ces liturgies « de la catéchèse » en fera des espaces d’initiation: faire place à la joie, mais aussi au silence, déployer le sens de la Parole pour nos vies, montrer comment nos vies données s’inscrivent dans le don que le Christ fait de sa vie, rendre grâce pour la communion qui se construit entre nous à travers le lien qui nous unit au Christ.

Une foi priée

L’initiation à la liturgie sera facilitée par une initiation à la prière, autre ingrédient pour mettre en lumière le fil d’or de la foi qui nous relie à Dieu. L’enjeu, c’est d’initier goutte à goutte à ce dialogue intérieur, au silence qui nous met à l’écoute d’une présence. Comme pour la relecture croyante de nos vies, cela peut devenir un élément constitutif de nos rencontres avec les catéchistes.

Nous pouvons également profiter des temps forts de l’année liturgique pour renvoyer les acteurs de la catéchèse à des propositions faites à tous les fidèles : soirée de prière hebdomadaire pendant l’Avent ou le carême, semaines de prière accompagnée… En étant attentifs à accompagner ces propositions de quelques portes d’entrée et de temps de relecture. Et pourquoi pas offrir, de façon ponctuelle ou dans la durée, des possibilités d’accompagnement spirituel ? Ce sera une autre manière de former ces personnes ressources dont a besoin le réseau catéchétique.

Une foi vécue

La foi n’a de sens que si elle est vécue. Je termine sur cet aspect essentiel de notre foi parce que dans l’enquête, nous avons constaté que les « professionnels » de la pastorale sont souvent plus à l’aise avec ce qui fait la spécificité du christianisme (les sacrements et la liturgie) et moins à l’aise avec les implications relationnelles et sociales de la foi (faire appel à des témoins, cheminer avec d’autres, voire aussi poser des gestes de solidarité). Quel enjeu pour l’accompagnement et la formation des acteurs de la catéchèse ? Je reviens à la trame de la foi, le fil d’or, et à la chaîne du service que constitue la vie chrétienne et qui doivent sans cesse s’entremêler pour faire un tissu beau et solide. Valorisons dans nos rencontres le fil de soie que sont les engagements familiaux, professionnels et sociaux de chacun, montrons comme ils font partie intégrante de la vie de foi. Ici encore, nous renforcerons la légitimité agents de la catéchèse.

Et faisons découvrir, à travers des témoins, des exemples, la richesse de la doctrine sociale de l’Eglise. Et renvoyons ceux qui veulent en savoir plus à des initiatives comme le parcours Zachée ou le webdocumentaire « Jeunes et engagés » réalisé par le CERAS5.

J’en reste là, en vous souhaitant de tisser le beau tapis de la vie chrétienne avec tous ceux avec qui vous partager la mission catéchétique.

Catherine Chevalier, formatrice au Centre universitaire de Théologie pratique de Louvain (UCL) et responsable de la formation pour le vicariat du Brabant wallon (Belgique)

[1] Catherine Chevalier et Joël Morlet, Être catéchiste : témoigner d’une expérience. Enquêtes auprès des catéchistes en Belgique (Vicariats de Bruxelles et du Brabant wallon) et en France (Diocèses de Nanterre et Créteil), Namur, Lumen Vitae (Pédagogie catéchétique n° 32), 2015, 194 p.

[2] CONFÉRENCE DES EVÊQUES DE FRANCE, Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et principes d’organisation, Paris, Bayard-Fleurus-Cerf, 2006, p. 48.

[3] François Moog, Accueillir ceux qui frappent à la porte de l’Eglise. La grâce de la reconnaissance, Paris, Le Senevé/ISPC (Le point catéchèse), 2009 ; François Moog, La reconnaissance, enjeu décisif pour l’Eglise et sa mission, dans Tabga : Ecclésia 2007 (Hors série 3), p. 32-41.

[4] Du moins, c’était le cas lorsque l’enquête a été réalisée.

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