Handicap et Réconciliation

Handicap et réconciliation : les pistes soulevées lors de la session de 2015

A partir de ce qui a été dit, écrit, des questions et débats que vous avez ouverts, voici quelques jalons pour vous aider à poursuivre le chemin entamé pendant la session des 26 et 27 mai 2015.

Vous avez tous beaucoup apprécié le chemin de réflexion que le P.Daniel HUBERT nous a permis de faire. Voici quelques extraits de ses interventions. Avec ces passages, et/ou avec nos notes, partageons avec nos équipes diocésaines ce que cela a pu déplacer en nous :

Réflexions

– La tradition chrétienne parle de la rencontre avec Dieu en termes d’Alliance pour entrer dans la Vie. Cette perspective du pardon et de la réconciliation est présente dès l’Ancien Testament. On n’a pas attendu le Nouveau Testament pour parler d’«alliance nouvelle»…

– Une rencontre comme événement fondateur. D’abord une rencontre avec soi-même, avec cette part d’inconnu qui nous constitue et qui parfois nous menace et nous fait peur. La rencontre, c’est aussi le choc de l’autre comme événement. La rencontre comme événement est finalement une œuvre de création. La rencontre qui laisse des traces est en fait un «corps à corps». Un «corps à corps» qui peut devenir un «corps- accord» ?

– La rencontre comme «Passage». Il y a des rencontres qui font passer sur d’autres rives de la vie. Quand une rencontre est vraiment un passage, elle est toujours un dépassement de frontières. La force de la rencontre est dans cette expérience étrange qui fait que chacun des protagonistes est habité par une parole qui vient d’ailleurs. C’est cette parole qui fait son chemin, qui passe au plus profond et qui bouleverse. La rencontre comme «passage» nous change sans transformer ce qui fait notre identité. Elle révèle ce qui était caché ou attendait de naître.

– La matière du sacrement de réconciliation, c’est le dialogue. Il y a des rencontres qui laissent des traces pour la vie (les paroles restent ; les écrits s’envolent). Dans nos missions ecclésiales, beaucoup de nos paroles peuvent être guérissantes. L’obstacle pour la parole, c’est l’imaginaire (sur soi, sur l’autre). L’imaginaire à propos de la relation avec la personne handicapée (nier le handicap ou le sublimer (tout est grâce)). Il faut sortir de l’imaginaire pour «être avec» et faire un chemin qui transformera non seulement les deux partenaires mais aussi la communauté. La vérité surgit du chemin entrepris (cf. Lc 15,11-32 et Jn 8,1-11 travaillés à la session) Sur ce chemin qui est demande de guérison, qu’est-ce qui se passe ?

– Envisager (au sens propre et au sens figuré) la réconciliation comme sacrement de guérison, même en ce qui concerne des personnes malades ou handicapées. Il y a toujours quelque chose à guérir en nous : «Je suis le Seigneur, celui qui te guérit» (Ex 15, 26). La Parole de Dieu qui guérit quelque chose de notre cœur profond. La prière, la liturgie comme cadre guérissant. La communauté qui guérit lorsqu’elle est une communauté porteuse de Vie (// paralytique). La guérison vécue comme un chemin intérieur qui ouvre à une espérance et à de l’«accroissement de vie».

Si le rite advient, c’est au terme de tout un trajet où il s’agit de

Parler de sa vie blessée

Parler de son besoin, son désir, son espérance,

Parler comme le Christ

Alors, le rite peut parler.

La Parole de Dieu : c’est beaucoup plus qu’un texte sacré. C’est une présence, une rencontre à vivre qui induit un autre regard. La guérison comme changement de regard.

La Prière : c’est beaucoup plus que des mots, c’est une parole qui s’adresse à quelqu’un, c’est une parole qui vient d’ailleurs (Cf. l’Esprit et la puissance performative de la parole).

Le cadre liturgique : intime ou collectif. La liturgie a pour but de traiter la vie, de la symboliser. Elle mobilise tous les sens. On est dans l’ordre de la guérison ecclésiale.

Le corps (délivré ou pas) : le corps est une parole à entendre au-delà des mots. Le corps malade peut vivre avec un cœur vivant. Le corps blessé dit la vie autrement.

La communauté : la communauté comme corps social protège, contient et donne du sens. Elle fait entrer dans l’histoire de tout un peuple. Entrer dans une histoire sainte, y participer, ça peut guérir des trajectoires personnelles blessées.

L’envoi au monde : le moment vécu n’a de sens que s’il renvoie dans le monde. La réconciliation n’est pas pour soi mais pour le monde.

Autour du rituel

Le rituel comme chemin d’initiation qui ouvre un passage entre ce qui fait Loi et ce qui fait croissance/initiation. Chemin balisé qui doit permettre de ressortir plus heureux de vivre que d’avoir seulement «réglé la facture».

Dans les rituels de réconciliation (cf. la commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud ou les rituels de réconciliation d’un couple…), comme dans le rituel ecclésial, il y a à prendre en compte un aspect personnel et collectif.

Le mal de l’homme, le mal dans l’homme (qu’on appelle communément le péché), font partie de la condition humaine (Gn 2 et 3). La Bible nous dit que ce combat entre le bien et le mal est aussi un chemin vers Dieu (c’est la dynamique de l’alliance à travers toute la Bible). Le handicap, le corps blessé ou l’esprit blessé gravement disent la vie autrement (cf. forces de diminution de Teilhard). On passe du corps objet au corps sujet. La relation au corps est autre, la relation à autrui est autre, la communication à autrui est autre, la relation à Dieu est autre. D’où l’importance du rituel pour signifier que tout ce qui est autre est aussi chemin vers Dieu et avec Dieu.

Pour comprendre les quatre parties fondamentales du rituel, il importe de se dire qu’on est dans la parole : le rituel, c’est de la parole en acte !

1- S’accueillir mutuellement

Accueillir l’autre ( avec ou sans handicap) mais aussi se sentir accueilli par lui. Pénitent, laïc, prêtre, diacre, tous sont sur le même chemin mais pas au même endroit (cf. Emmaüs).

Confiance, espérance, qu’il va se passer quelque chose dans cette rencontre au-delà des mots, des gestes du corps, du rituel même.

2- Ecouter la Parole de Dieu

Etre habité par la Parole de Dieu avant de s’engager dans le rituel.

Lire, méditer, prier, contempler (cf. lectio divina). Refrain intérieur des psaumes.

Passer de la Parole de Dieu «utilisée» à la Parole de Dieu «fréquentée au quotidien».

Consentir à ce que cette Parole venue d’ailleurs prenne sens pour soi.

3- Confesser l’amour de Dieu en même temps que notre péché

Autrement dit, que la parole (ou le silence ou le corps) de la rencontre et celle de la Parole de Dieu s’adressent à quelqu’un en qui l’on croit: qu’il s’agisse de Dieu ou de soi-même.

Passer d’une parole qui «fonctionne» (c’est toujours le risque du rituel), à une parole qui s’adresse à quelqu’un (attester d’une présence à soi, d’une présence à Dieu).

Sans savoir les fruits d’une telle parole.

4- Accueillir le pardon de Dieu

Entrer dans la grande histoire du peuple des croyants. La Bible est l’histoire de pécheurs pardonnés.

Renouer les alliances essentielles.

Le rituel est un chemin d’initiation à la parole.

– Ce n’est pas un règlement, c’est un chemin ;

– un chemin d’initiation et de croissance

– pour un bonheur à vivre,

– une joie à partager.

Voici quelques-unes des phrases citées par les uns ou les autres et qui peuvent nourrir nos travaux pour concevoir les itinéraires à proposer dans nos communautés.

Au sujet du lien avec le Baptême :

– Le baptême est le premier sacrement de la réconciliation mais il ne fait pas de nous des surhommes.

– Le pardon est une expérience d’humanisation. Dieu fait les premiers pas, Dieu relève et pardonne. C’est le mystère pascal qui est au centre du sacrement car la grâce du pardon et de la paix est au cœur de la Pâque du Christ : « Dieu le Père a manifesté sa miséricorde en son Fils Jésus : en lui et par lui, il a voulu tout réconcilier en faisant la paix par le sang de la croix ». (cf. Rituel n°1).

– Si le baptême est le sacrement de la Vie, celui de la réconciliation est sacrement de « revivification », comme un « baptême à sec ! »

Au sujet du rapport entre sacrement individuel et l’Eglise :

– Chemin en communauté : ce « nous » qui peut permettre ensuite de dire « je ». La communauté elle-même a une dimension réconciliante.

– Avant d’entrer dans la pratique effective d’un sacrement (eucharistie, réconciliation, onction des malades), on ne peut oublier la dimension sacramentelle d’une équipe d’aumônerie. Celle-ci est envoyée par l’Eglise pour témoigner du Christ vivant, présent et agissant aujourd’hui. Dieu se donne à vivre dans notre histoire. L’aumônerie peut être un lieu d’unification qui assure une continuité dans une vie qui peut être morcelée. On peut parler de « sacrement du réconfort » !

– Rencontrer un prêtre, c’est aussi dialoguer avec un frère envoyé par l’Eglise, membre de ce corps dont le Christ est la tête, lorsqu’il prie avec le pénitent en disant les paroles du Notre Père : « pardonne-nous… » (D’où accueil MUTUEL, et proposition de passer d’un dialogue en face à face à une confession où ministre et pénitent sont côte à côte tournés vers la croix)

– l’Eglise est embellie par la restauration et la guérison d’un seul de ses membres.

– Tout sacrement est expérience de l’Esprit (la liturgie d’absolution est épiclétique : on sort du jugement pour s’ouvrir au don de l’Esprit) et donc célébration de l’Eglise.

Au sujet de l’examen de conscience (ou examen de confiance ?) :

– «Poser son sac», lourd de tout ce qu’on a sur le cœur.

– Dieu n’efface pas le péché comme par magie, il nous par-donne, il donne par-dessus.

– «Désajustés» par rapport à Dieu, Dieu nous propose de se réajuster à lui en écoutant à nouveau la Parole du Dieu de l’Alliance pour se réorienter vers la vie.

– Reconnaître que Dieu nous aime et que plus que de connaître notre péché, il veut nous voir revenir à lui (Lc 15, 11-32).

– «Ce qui intéresse Dieu ce n’est pas d’abord nos péchés mais le retour du pécheur».

– Pécher c’est comme rater la cible de la vie proposée par Dieu, se détourner d’un chemin de relation. Tout ce qui abîme l’humain abîme la qualité de la relation à Dieu. Le péché se situe dans une relation d’amour avec Dieu et les autres. Accueillir le pardon de Dieu restaure la qualité de cette relation.

– Confesser l’amour de Dieu c’est confesser que Dieu nous aime tels que nous sommes, avec ou sans handicap. C’est donc aussi reconnaître ce qui nous donne de la joie : «Seigneur je veux d’abord te remercier parce que tu m’as aidé, telle chose a eu lieu, j’ai pu me rapprocher de telle personne, je me sens plus serein, j’ai dépassé un moment difficile…»

– On va rencontrer un prêtre pour ne pas se confesser devant une glace qui ne renvoie que nous-mêmes et accepter de se «laisser regarder par le Christ».

Pistes pour un ITINERAIRE de RECONCILIATION :

– Il faut du temps et un cheminement ! Du temps et du dialogue pour une rencontre !

– Soigner l’accueil et le caractère ecclésial de la réconciliation: en Eglise, dans l’Eglise, pour l’Eglise.

Certains ont émis l’idée d’un compagnonnage qui permette à tous les acteurs d’être impliqués (prêtre, parents, accompagnateurs, autres membres de la communauté…)

– L’itinéraire proposera une alternance de célébrations et de catéchèses «de maturation» sans oublier un «après sacrement».

– Les célébrations pourront avoir des formes variées : célébrations de la Parole, célébrations de la pénitence, célébrations de la réconciliation… (Voir nuances de vocabulaire dans les notes qui accompagnent les n°51 et 52 du Rituel).

– Chaque célébration pénitentielle sera construite en y respectant les 4 étapes : S’accueillir mutuellement, écouter la Parole de Dieu, Confesser l’amour de Dieu en même temps que notre péché, Accueillir le pardon de Dieu.

– La Parole peut être lue, chantée, gestuée… => Tous les outils de la PCS pour accueillir la Parole !

– Tout dans l’itinéraire, à commencer par la Parole de Dieu, manifeste explicitement que l’initiative vient de Dieu qui attend notre démarche.

– Tous vous avez insisté sur l’importance de l’accueil même s’il n’y a pas de possibilité de communication verbale. Un chant, une musique, toujours la même, (et même le slam !) peuvent être le signe de cet accueil mutuel. Prendre le temps de se dire: «Qui es-tu ? Où es-tu ?» Et non : «Qu’est-ce qu’on va faire? »

– Un itinéraire peut se déployer sur plusieurs mois, voire sur une année.

– Tous vous avez noté l’importance du cadre, du lieu, pour aider à dire quelque chose du chemin à parcourir vers la réconciliation :

Schéma de l’utilisation des lieux et des circulations. (Lieu de l’accueil, de la Parole, du dialogue, de l’accueil du pardon, de la fête…). Sans oublier une bonne accessibilité !

La dimension pascale du lieu (croix, cierge pascal, baptistère…)

Beauté du lieu (fleurs, odeurs, musique, éclairages, bougies, images…)

– Quand il n’y a pas la communication verbale, beaucoup peut être préparé en amont :

On peut proposer des phrases d’évangile et demander à la personne : «Tu es d’accord ?, pas d’accord ?», «Tu y arrives ?, C’est difficile ?»… Une phrase d’évangile, choisie par la personne dit quelque chose de cette personne !

la fleur des «talents» de chacun (et on explique au prêtre que les talents repliés sont ceux pour lesquels il y a eu rupture…ils n’ont pas été mis en œuvre)

Les pierres sombres avec les images ou les pictogrammes des émotions collés dessus…

Le papier de verre avec ses nuages gris sur lesquels sont collés images ou pictogrammes, et les rayons de soleil de la réconciliation.

– Des gestes peuvent être posés à différents moments de l’itinéraire:

S’incliner devant la croix ou poser son front sur la croix avant de recevoir le pardon.

Faire un baiser à une icône du Christ ressuscité ou à la croix.

Poser sa main sur le livre de la Parole.

Se laver les yeux avec l’eau bénite.

Plonger sa main dans le baptistère et se marquer du signe de la croix.

Recevoir et déposer une lumière (bougie, cierge, lumignon) allumée au cierge pascal.

Fleurir une croix.

Recevoir une fleur et la porter à quelqu’un d’autre après avoir reçu le pardon

Objet qui dit le lien qui nous unit, la relation: fanion, bracelet, foulard…

Se donner la main, faire une chaîne, une ronde… pour signifier le lien renoué.

Prier devant le Saint Sacrement avant d’aller voir le prêtre.

Toujours terminer par une fête communautaire !!:

«Mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé» (Lc 15 23b-24a)

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