« Nous avions confiance, envers et contre tout, en notre enfant, enfant de Dieu »

Témoignage de Bénédicte et Jo, parents de cinq enfants. Ils racontent leur vie avec Pierre, leur unique fils.

Pierre, le jeune homme courageux

« Il y aura 10 ans demain matin, Pierre nous quittait, il avait 21 ans ½.

Victime d’un accident lors de sa naissance, il faisait partie des « sans» : sans parole, sans station assise, sans marche, sans préhension, sans mastication, sans acquisition de la propreté, sans lecture, sans écriture. Alors pourquoi, lorsque nous l’évoquons, nous reviennent en mémoire tant d’« avec» ? : avec le sourire, avec la joie, avec le rayonnement, avec la présence, avec humour, avec persévérance, avec sagesse …

Pierre, le jeune homme courageux. Voyez plutôt : 20 mois avant son décès, Pierre subit une très lourde intervention chirurgicale. Il sait qu’il y a un risque vital, il ne se départit jamais de son calme et part confiant au bloc. De retour, jamais il ne se plaint. Si nous lui demandons s’il souffre beaucoup, il nous fait comprendre dans un sourire : « un peu ». Les mois précédant son grand départ, Pierre se nourrit de plus en plus mal. Il fait de nombreuses fausse-routes douloureuses. A chaque fois, lorsqu’il a fini de tousser à s’en arracher les poumons, alors que j’ai le cœur chaviré de l’entendre, il me fait le sourire le plus éclatant, comme s’il disait : « Tu vois, j’ai encore gagné ! ».

Pierre, le jeune chrétien rayonnant

Au début de la vie de Pierre, rien n’était gagné précisément, et en même temps…
D’abord sa naissance, en état de mort apparente, avec coma, en arrêt respiratoire. Puis son cœur repart seul, sans aide, il reste 5 semaines à l’hôpital. A son arrivée à la maison, difficultés énormes pour s’alimenter, souffrance, pleurs, nuits écourtées et, pourtant, la veille de Noël, à 10 semaines, un sourire éblouissant. S’enchaineront souffrances, amaigrissement, multiples problèmes digestifs, erreurs de diagnostic, jusqu’à une intervention chirurgicale à l’âge de … 5 ans, qui a tout changé. C’est long, 5 ans !
Pendant ce temps, il a découvert tout seul, avec ses faibles moyens, comment nous exprimer le « oui » et le « non », et fait succomber sous son charme les personnes venues aider.

Pierre, le jeune chrétien rayonnant. Afin que Pierre vive une vie d’Eglise, voici ce que nous avons fait.
Nous avons toujours cherché à ce que Pierre ne soit exclu de rien. Il a participé très tôt à la vie de paroisse : messe, fêtes, rassemblements. C’était très bon pour lui et pour les autres. La différence est source de richesse. Nous n’avions pas de plan préconçu pour sa découverte de Dieu et du spirituel. Nous nous sommes adaptés selon les endroits où nous avons vécu, l’âge de ses 4 petites sœurs, les besoins exprimés.
Nous étions animateurs. Pierre a ainsi été présent à l’Eveil à la foi à la paroisse, à la catéchèse à la maison, à la « liturgie de la Parole » le dimanche à l’église. Il ne pouvait pas vraiment participer, mais il écoutait, était heureux de vivre sa foi et était source d’ouverture pour les autres enfants. Il ne causait pas de perturbation, au contraire, sa qualité de présence interrogeait les enfants. En réponse à la soif que nous pressentions chez lui, et à nos propres convictions, nous lui avons fait connaître très vite Dieu son Père, Jésus son frère, l’histoire du peuple élu, sous forme de récit à la maison jusqu’à sa première communion, très jeune : il n’avait pas 8 ans.

Pierre, le témoin

Plus tard, il a bénéficié d’une catéchèse avec d’autres enfants en situation de handicap. Cela lui permettait de participer en fonction de ses possibilités, de ne pas toujours se sentir différent, d’être reconnu avec ses richesses et difficultés, de vivre en dehors de nous. Le groupe s’est dispersé après que les autres, plus jeunes, aient célébré leur première communion. Pierre a alors demandé à faire sa profession de foi. Il l’a préparée avec nous. Comme il ne pouvait parler, il a réalisé avec son papa un très bel album illustré où il professait sa foi. Comme il savait exprimer « oui » et « non », son papa a procédé par questions/réponses. Son parrain et sa marraine ont lu l’album lors de la célébration à ses côtés. A la sortie de cette messe, les paroissiens étaient invités à s’exprimer sur le « livre d’or ». Beaucoup étaient touchés par sa confiance. Pierre était très reconnu dans la paroisse. Lorsqu’il revenait de l’hôpital, il était accueilli, salué.

Pierre le témoin. Puis il a rejoint un autre groupe de jeunes touchés par le handicap. Il a préparé sa confirmation avec eux. Comme ils ne pouvaient pas écrire leur demande, ils sont allés rendre visite à leur évêque. Lui-même s’est déplacé pour la célébration.

En parallèle, Pierre a vécu l’expérience de la fraternité dans une communauté « Foi et Lumière », et de l’amitié avec « A bras ouverts », lieux d’expérimentation de l’Amour de Dieu hors de chez lui. Il était important qu’il ait des lieux « à lui », où il soit accueilli tel qu’il est et pour lui-même, sans nous. Il participait ainsi à des camps, des sessions.
Avec « A Bras Ouverts », il est allé aux JMJ de Paris et Rome. Même s’il est revenu des secondes fatigué et amaigri, il était comblé. Régulièrement, il allait témoigner avec son papa au FRAT. Son sourire, sa vulnérabilité assumée touchaient les jeunes, même s’il lui est arrivé d’être trop épuisé par le trajet pour s’exprimer (sans parole, évidemment !!).
Il était très touché par la souffrance et particulièrement le drame des « sans -logis ». Il nous avait fait comprendre qu’il souhaitait que l’argent de son effort de carême aille vers eux.

Une force de vie importante

Il y avait en lui une force de vie importante. Nous avions confiance, envers et contre tout, en notre enfant, enfant de Dieu. Nous étions persuadés qu’il pouvait trouver le bonheur et avoir une vie spirituelle.
Avoir une vie spirituelle c’est « faire vivre l’esprit en soi », donc au préalable être reconnu soi-même comme personne. C’était une priorité pour nous. Nous souhaitions qu’il puisse donner tout ce qu’il avait, tout ce qu’il était, pas plus, pas moins.
La vie chrétienne se vit avant de se dire, et la vie chrétienne est une vie de relation, cela suppose que l’enfant lui-même soit dans une relation d’amour avec son entourage, cette relation étant comme les prémices de la relation d’Amour avec le Père.

Et pour nous, ses parents, ce qui nous a aidés :
– être dans une relation de proximité avec Dieu, lui confier notre enfant, crier vers lui dans les moments de doute, de trop grande peine,
– chanter, louer, mais aussi prier lorsque la souffrance est trop grande, afin de ne pas se laisser envahir, et de trouver, au cœur des difficultés, la paix,
– passer par la prière qui a conduit le peuple élu pendant des siècles : les psaumes. Ils contiennent tout : joie, tristesse, plainte, appel, imprécation,
– trouver un lieu d’église et de ressourcement : paroisse, mouvement, service, communauté en dehors de notre couple, de nos enfants.

« Tu es précieux à mes yeux, et je t’aime »

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Comment se prendre avec douceur afin d’agir de même avec son enfant :
– reconnaître les moments où nous ne pouvons plus, où nous n’en pouvons plus, au besoin trouver un relais,
– accueillir d’avoir par moment des sentiments négatifs envers son enfant. Se dire que nous sommes maîtres uniquement de ce que nous faisons de ces sentiments. Ne pas attendre d’être « à bout » et de risquer le débordement,
– trouver une oreille attentive à qui se confier,
– ne pas être seul. Ne pas hésiter à demander de l’aide : famille, amis, voisins, collègues, professionnels, prêtres, religieux (ses), mouvements, associations.

Devant Pierre, nous restons face à un mystère. Celui de la grande vulnérabilité source de la plus grande fécondité, sans doute résultat d’une alchimie : une soif énorme de vivre malgré ses limites, un entourage (amis) porteur, la confiance que, avec ses déficiences, il était aimé de Dieu en priorité et encore plus accessible qu’un autre à cet amour. Au-delà des techniques de toute sorte l’essentiel est là : « Tu es précieux à mes yeux, et je t’aime ».

« Mon enfant, mon cœur,
mon trésor, ma douceur,
J’aurais voulu te dire
ces mots très doux…
Que l’on veut murmurer
à l’être aimé…

Mais tu n’es plus là…
Comment vivre maintenant ?
Tel est le mystère
Tu rayonneras à jamais. »

Bénédicte et Jo

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